05/02/2020Michel Levaï
La première soirée Un livre-Un vin de l’année 2020 a eu lieu le 6 février. Michel Levaï nous a fait le plaisir de venir parler de son livre Qui a tué ma mère paru aux éditions l’Harmattan le 16 juin 2019.
Comme la coutume en est maintenant bien établie, la soirée a commencé par la dégustation d’un vin choisi par vos libraires en concertation avec l’auteur invité. Tóth Bálint, de chez Veritas, nous a présenté le Vylyan Csóka 2016. Nous avons appris que le Csóka est un cépage autochtone, encore plus ancien que le Kadarka, qui aurait totalement disparu sans les efforts du domaine de Vylyan et de l’Institut de viniculture et d’œnologie de l’Université de Pécs. Son nom « csóka » (choucas des tours, corbeau choucas ou encore corneille des clochers) reflète sa couleur foncée. Ses notes à la fois fruitées et épicées ont été unanimement appréciées.

Franck Mercier, qui a rejoint l’équipe de Latitudes il y a quelques mois, a lancé la discussion avec Michel Levaï en l’interrogeant sur le titre de son livre. En effet, l’absence de point d’interrogation intrigue plus d’un lecteur, et le parallèle avec le titre du livre d’Edouard Louis, Qui a tué mon père, auquel Michel Levaï fait explicitement référence n’est pas anodin. Michel Levaï a expliqué qu’il a eu beaucoup de mal à trouver un titre et que la lecture du livre d’Edouard Louis a été comme une révélation.
Comme Edouard Louis il a voulu proposer un livre à la fois fort dont le titre attire l’attention et laisse entendre qu’il sait très bien qui a tué sa mère. Sa mère a simplement commenté ce titre en disant « Oui, c’est ça ». Ses personnages sont eux aussi victimes de la grande et de la petite histoire. Il considère son livre comme un récit, une histoire très personnelle basée sur des souvenirs très intimes et non pas comme un roman. Il explique avoir suivi une démarche similaire à celle de Michel Rostain avec Le Fils Goncourt du premier roman en 2011, à savoir partir d’une histoire très personnelle et faire un gros travail d’écriture, sur la langue et la construction du récit. Il avoue avoir écrit, parfois juste pour se faire plaisir, et beaucoup jeté, « c’était un sujet avec beaucoup de pièges, beaucoup d’embûches possibles, il fallait naviguer très prudemment et il était pour moi très important de laisser des blancs, de laisser des espaces au lecteur pour qu’il se fasse sa propre idée ».
A l’évocation du fait que l’un des thèmes du livre est la difficulté des relations humaines et des relations à l’intérieur de la famille, Michel Levaï explique qu’il a écrit ce livre à une période où il se séparait de son épouse. L’écriture lui permettait de dépasser, surmonter cette histoire qui répétait celle de ses parents dont il a réalisé l’impact qu’elle a eu sur lui en venant présenter son livre. Pour lui, comme le démontre Edouard Louis dans Histoire de la violence, l’écriture permet de dépasser la violence des relations humaines et de pallier le manque de communication. « La littérature naît souvent quand la violence est là et qu’elle étouffe ».

Franck Mercier fait remarquer que le livre évoque des conversations mais sans jamais vraiment restituer les dialogues comme s’il était particulièrement difficile de restituer la communication ce dont Michel Levaï ne s’est pas vraiment rendu compte. Il souligne qu’il n’a pas fait exprès et qu’il trouve intéressant que les choses lui échappent. Il a été le plus sincère possible et a voulu donner une dimension théâtrale à son livre en faisant entendre des voix et en variant le plus possible les interventions et les points de vue et reconnaît que les dialogues ne sont pas venus naturellement. « La littérature existe, elle est la plus belle, la plus resplendissante, la plus flamboyante quand elle est lue, quand elle est dite sur une scène par des acteurs en chair et en os ». Michel Levaï explique qu’il a commencé comme professeur de langue et qu’il a très vite compris que faire jouer et parler, mettre en scène, les élèves est non seulement un plaisir pour l’enseignant mais que cela permet aux adolescents de s’exprimer et libérer leur parole. S’il n’a pas écrit une pièce de théâtre, c’est qu’il avait besoin du récit pour rendre les scènes les plus vivantes possibles mais il n’exclut pas la possibilité de transformer ce récit en pièce de théâtre. Le temps manque, d’autant qu’il pense à un nouveau livre dans lequel il raconterait la vie de son père, la petite histoire, telle qu’il la raconte, d’un jeune de 18 ans qui quitte la Hongrie dans la grande histoire de la Révolution de 1956 et sur fond d’un thème très actuel, celui de la migration.
Le livre évoque également la double culture, franco-hongroise, de Michel Levaï et décrit son installation à Budapest comme une seconde naissance. Il explique qu’il a grandi dans les récits, son père était un grand conteur d’histoires qui ont éveillé son intérêt pour la Hongrie. Il considère comme une chance que son père ait fait le chemin de Budapest à Paris qui l’a, lui, amené à faire le chemin inverse. « C’est une histoire d’Europe, d’échanges, d’échanges culturels pour mon plus grand bonheur ».
Un chapitre entier du livre est consacré à la lecture avec l’évocation de plusieurs auteurs comme Frank McCourt (Les cendres d'Angela), Orhan Pamuk (Neige), Driss Chraïbi (Passé simple), Mo Yan (La Mélopée de l'ail paradisiaque) ou encore Haruki Murakami (Danse, danse, danse, Après le tremblement de terre, Kafka sur le rivage, Chroniques de l'oiseau à ressort). Tous sont des auteurs étrangers, tous ont à un moment ou un autre marqué Michel Levaï, lui ont donné un coup de fouet et envie de changer sa vie, de régler un problème, de passer une étape. Haruki Murakami est celui qui est le plus évoqué parce qu’il a une simplicité déconcertante pour enchaîner son récit, entraîner tout doucement le lecteur dans quelque chose d’incroyable et de sidérant et le bouleverser sans jamais donner de réponse. « Avec la magie de son verbe et de son imagination, il nous entraîne sur un terrain très intime, très sensible ».

Pour clore la soirée, Michel Levaï a partagé ses coups de cœur de lecture récents :
- Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu : « un travail sociologique très bien construit, des vies banales dans lesquelles je me suis reconnu, un vrai bonheur de lecture »
- Frère d’âme, de David Diop, « un très beau récit quasi théâtral, j’aimerais avoir cette même qualité d’écriture »
- L’art de perdre, d’Alice Zeniter : « j’avais beaucoup aimé Sombre dimanche, je suis en plein dedans et je recommande »
- Ellis Island de Georges Perec : « j’étais venu écouter Frédéric Boyer [à la librairie Latitudes] et j’avais acheté ce livre, un très beau récit sur la migration, j’aimerais bien avoir cette limpidité dans l’écriture ».
Budapest, 6 février 2020 (Flora Dubosc)